Nouvelle série d’articles sur Kiffe Ta Culture. Ici, on s’intéressera à l’illégalité de l’art urbain. Pourquoi n’a-t-on pas le droit de peindre où l’on veut ? Comment la police gère-t-elle ce délit ? Et comment les artistes gèrent-ils la police ? Au fil de dix entretiens, ce sont ces derniers qui raconteront leurs expériences. Codex Urbanus ouvre le bal pour expliquer, entre entre, la difficulté de la BAC à l’inculper lorsqu’il est pris, la main dans le sac, entrain de dessiner un scarabée-girafe, où toute autre créature étrange, sur un mur.
Qui es-tu et comment es-tu venu au street-art ?
Je suis Codex Urbanus. Je dessine en dessin direct sur les murs de Paris un bestiaire fantastique, des animaux hybrides. À ce jour j’en ai fait plus de 350 et donc je suis assez exposé à la police puisque, comme chacun sait, le fait de tracer des inscriptions sur le bien d’autrui c’est un délit : dégradation volontaire.
Et ça fait combien de temps que tu fais ça ?
Ça fait pas si longtemps, depuis 2011, donc ça va faire huit ans.
Tu opères exclusivement à Paris ou un peu ailleurs ?
Principalement à Montmartre. Je suis très vite recouvert par la mairie de Paris, qui fait un excellent travail de nettoyage. Donc si je veux avoir une petite existence, je suis obligé d’être massivement dans un endroit et d’y retourner souvent.

Tu peins la nuit. C’est inconcevable de pouvoir peindre le jour ?
C’est impossible pour trois raisons : la première c’est que le jour y a trop de gens qui sont là et je dois reconnaître que j’aime pas trop qu’on me regarde. Ensuite, en journée y quand même pas mal de gens qui sont susceptibles d’appeler la police.
Ah, les gens eux-mêmes ?
Oui ! Y a des gens qui vont t’encourager. Mais aussi t’en as pas mal qui disent : « Vous avez pas le droit, c’est inadmissible, c’est nous qui payons le nettoyage ». Et puis le troisième point, c’est que la journée y a la police à pied. Qu’y a pas la nuit ! Donc c’est aussi plus simple pour moi la nuit de faire attention juste aux voitures.
Ok. Alors du coup, toi, est-ce que tu as déjà eu des interactions avec la police, qu’elles se soient bien ou mal passé ? Que ce soit une arrestation ou juste une discussion.
J’ai eu pas mal d’interactions avec la police. Statistiquement, je te dis, plus de 360 créatures, c’est plus de 360 moments où je peux être arrêté. Et je suis bien conscient que c’est illégal, que quand un policier m’appréhende, il a raison. En gros c’est arrivé quatre ou cinq fois. Y a eu un moment où la police a changé ses voitures. Ça a été catastrophique parce que y a eu des fois où je suis tombé sur eux parce que je les prenais pour des Uber.

Et donc là, ces quatre ou cinq fois où t’es tombé sur eux, qu’est-ce qu’il se passe concrètement ?
J’ai une stratégie par rapport à la police. Je commence jamais par écrire mon nom. Parce qu’un mec qui écrit des lettres c’est un tagueur. Alors qu’un mec qui dessine un scarabée-girafe, bah là, c’est plus difficile de rentrer en mode condamnation. J’imagine toujours l’officier de police judiciaire (OPJ) qui ensuite doit appeler le procureur de la République pour placer en garde à vue un mec qui est entrain de dessiner un scarabée-girafe sur un mur. Y a des chances que l’OPJ refuse pour pas avoir à souffrir de cette humiliation. La première fois, ça a marché très bien. C’était la BAC. Ils étaient en voiture banalisée, j’ai pas fait attention. Et j’avais un peu bu. De tout façon à chaque fois que je suis tombé sur la police, j’avais toujours un peu bu, y a un lien. J’ai tout de suite obtempéré. Depuis que mon Opus Delits est sorti je l’ai toujours avec moi. On est moins délinquant quand on a un livre sur son travail. Bon, ils sont toujours par groupe de trois. Et dans le tas y en a assez souvent un qui est plus réceptif que les autres à l’art. C’est souvent lui qui va tempérer les autres. Donc la première fois ça c’est terminé comme ça : ils m’ont confisqué mes feutres d’une manière complètement illégale. Mais j’étais tellement content que ça se termine comme ça…
Parce qu’ils ont pas le droit de te prendre tes feutres ?
Si y a pas de procédure ouverte, y a aucune raison de me confisquer quoi que ce soit. Mais je vais pas saisir les bœufs-carottes pour leur dire : « Oh ! On m’a confisqué mes feutres ! ». J’étais très content que ça se termine comme ça. La deuxième fois, c’était rue Mouffetard, ça je m’en souviens très bien ! J’étais très bourré. J’avais fait la créature, j’avais fini son nom et j’étais en train d’écrire « Codex Urb… ». Là : voiture sérigraphiée. J’ai à peine le temps de mettre le feutre ouvert dans ma poche. C’est vraiment un jeu de dupes majeur. « Bonjour Monsieur, qu’est-ce que vous faites là ? » « J’me promène. » Ouais, bien sûr… Et là il s’est passé une scène quand même assez cool : le flic est sorti de sa voiture et il dit : « Si c’est pas vous qui étiez en train de faire ça, c’est que ça doit être sec. » Moi je m’entends répondre « Oui, bien sûr ». Mais bien évidemment ça ne pouvait pas être sec, j’étais en train de la faire y a même pas une minute ! Et là il a passé sa main dessus, et ça n’a pas bavé. Donc ça veut dire qu’il a pas touché le mur ! Et en fait le mec m’a couvert ! Il m’a dit « Effectivement, c’est sec. Bonsoir Monsieur. » Et il est parti. Il a fait son boulot, tout le monde gardait la face. Ça m’a évité le dégrisement aussi. Ensuite y a eu cette fois dans le 9e. C’était une bestiole qui y est toujours, c’est la plus ancienne de Paris d’ailleurs. Je tombe sur la police. Les mecs assez cool, je leur ai montré le bouquin. Et j’ai eu un fameux conseil de la BAC qui m’a dit qu’ils aimaient pas trop mes lettrages, que je ferais mieux de les faire au pochoir. C’est toujours bien d’avoir le conseil de la BAC quand même ! Et la fois qui était peut-être la plus emmerdante pour moi, c’était rue Caulaincourt, c’était un éléphant-hippocampe. Ils étaient passés plusieurs fois donc ils avaient dû voir que je me planquais un peu. Ils m’ont serré comme une merde. Ils étaient un peu hargneux, clairement ils voulaient me ramener. Le seul souci c’est que bah… Voilà : un éléphant-hippocampe… Va ouvrir la procédure avec ça ! Donc il fallait trouver autre chose. Et là j’ai eu le droit à la fouille totale. Ils cherchaient soit un couteau, soit du stup, pour me ramener. Je me revois encore, dans la rue, j’avais toutes mes affaires, éparpillées sur le trottoir, et mon sac vide dans la main. En partant ils me disent : « De toute façon Monsieur vous êtes trop vieux pour faire ça. » Tu ravales ta dignité, t’attends qu’ils soient partis, t’attends qu’ils soient bien partis. Tu termines ta petite créature et ensuite tu rentres chez toi et tu vas pleurer.

Est-ce que tu penses que le street art doit être illégal pour exister ?
C’est le cœur même du street art. Son illégalité, c’est ça qui le rend original. Parce que de l’art dans la rue y en a depuis des siècles. Des artistes qui proposent systématiquement, illégalement, et gratuitement de l’art dans la rue, c’est nouveau, ça n’a que quelques décennies, et c’est ça le street art. L’illégalité, elle est intrinsèque au street art. A partir du moment où c’est légal, c’est plus du street art. Et je l’explique parce que cette légalité, elle te fait perdre ta liberté. L’école du street art, elle consiste à contourner l’illégalité. T’as des graffeurs qui peuvent rechercher l’adrénaline. Mais dans le street art on n’est pas dans cette idée qu’on va jouer au chat et à la souris avec la police. C’est plus un problème et une conséquence qu’une cause de notre pratique.
Mais t’en as besoin quand même pour créer ?
Ce qui m’intéresse c’est la liberté. Il se trouve que le prix de la liberté c’est cette illégalité.
Qu’est-ce qui dérange tellement ? Est-ce que c’est le fait d’empiéter sur la propriété de quelqu’un, ou c’est le fait de soi-disant salir ?
Ça c’est une super bonne question. Y a les deux. En fait on n’a pas le droit de faire ça. Y a aussi le fait qu’on va toujours lier ça au vandalisme. Est-ce que c’en est ou pas, je sais pas… Je pense que y a des gens qui vont t’expliquer que mes espèces de créatures un peu malhabiles, naïves, chelous, qui correspondent à rien, c’est une atteinte à l’art. C’est aussi le syndrome du graffiti qui était utilisé à New York pour les effacer. C’est de se dire que quand y a un graffiti y en a deux, quand y en a deux, y en a trois, quand y en a trois, y a un cambriolage, quand y a un cambriolage… Enfin, une espèce d’escalade de la délinquance qui part du graffiti. C’est quelque chose qui est très répandu.
Est-ce que tu penses que s’il y a ce côté accommodant des policiers quand tu les croises, parfois, c’est parce que tu ne corresponds pas à l’image que se font le gens d’un vandale ?
Alors moi je fais tout pour qu’ils ne me voient pas comme un vandale. Comme je te dis, je commence par faire la créature, j’ai mon petit bouquin. Quand je suis face à la police mon but c’est de leur dire : je ne suis pas un délinquant, je n’ai pas d’armes sur moi, et d’ailleurs je suis un artiste reconnu. Sauf que c’est pas à la police, à la BAC, de juger ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas.

Merci à Cordex Urbanus pour ses réponses !
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