Deuxième entretient de cette série sur l’art urbain et son illégalité, sur les interactions entre policiers et street artistes, cette fois-ci en compagnie de Pierre Merriaux. Celui-ci pose sur les murs de Paris toutes sortes de compositions : portraits déstructurés au feutre noir ou fresques géométriques et colorées. Il évoque ici sa première et unique garde à vue, des courses poursuites dans la nuit, ainsi que ses envies de légalisation d’un art pour tous.

Comment est-ce que tu es venu à l’art dans un premier temps, et ensuite au street art ?
Ma grand-mère, elle est artiste, donc j’ai baigné dans l’art depuis que je suis gamin. J’ai fait ma première sculpture, j’avais quoi… 3 ans et demi ? Et puis, au collège, j’ai des potes qui se sont mis au graffiti, je m’y suis mis avec eux. On fumait des joints, on picolait, on allait graffer. On rentrait tard, c’était vachement bien.
Une vraie vie de délinquants !
Mais tellement ! Délinquants du XVe en plus ! C’était bon enfant. Sauf que tous mes potes se sont fait chopper au fur et à mesure. Parce qu’on a commencé à faire des tunnels, des métros et tout. Mes potes ont commencé à se faire gauler et ça a été 22.000 euros d’amende de la RATP… J’ai un autre pote, ça a été son troisième jugement cet été. Il a repris 4.000 euros en plus de ce qu’il avait eu avant. Moi je me suis vachement calmé à un moment. Et puis, au fur et à mesure, c’est revenu : je suis passé par la craie, le pinceau, la bombe, les marqueurs, la sculpture, la gravure, plein de trucs. J’ai faim de ça en fait !
Quand tu vas dans la rue, tu choisis un mur plutôt parce que l’endroit te parle, ou parce que c’est facile de poser dessus ?
Ça va dépendre. Si c’est en journée, ça va être l’endroit où je peux me barrer vite si y a un problème. Où je sais que je vais avoir dix ou vingt minutes devant moi.
Et du coup y a des coins qui sont plus propices ?
Plus maintenant ! Plus maintenant… Avant y avait la Butte aux Cailles. Moi je me suis fait gauler là-bas. Avec Dark Snoopy on est partis au poste. Les Frigos, c’est pareil, les flics ils y passent maintenant. La rue Henri-Noguères, l’école d’en face a pété un câble et du coup maintenant les flics, ils passent. Et Bercy… Bercy c’est peut-être encore l’endroit pépouze. Ça laisse UN spot à Paris ! Y a plus rien à Paris… C’est la misère.

Et du coup quand tu graffes, comment tu fais pour que ça se passe bien ?
Alors là déjà je suis en train de m’arranger avec des professionnels, qui ont des boutiques avec pignon sur rue et qui me laissent faire leur rideau de fer.
Et les gens sont ouverts là-dessus ?
Non. Mais j’essaye de mettre en avant le fait que j’ai ma petite légitimité, pour leur dire : «Comme ça, je vous fais un joli truc, regardez ce que je fais. Et puis, vous allez pas vous faire pourrir votre rideau de fer par un truc que vous aimerez pas. » Ça marche pas des masses… J’essaye.
Mais sinon, je m’en tape, je pose n’importe où. Je vais essayer de pas faire de la vieille pierre, de pas repasser des trucs qui sont déjà présents. Tout ce qui a un peu d’histoire, j’essaye de pas trop y toucher.
Et quand tu disais que le jour tu vas privilégier des endroits où tu as dix ou vingt minutes devant toi. C’est parce qu’au bout des dix minutes, y a la police qui passe, où c’est parce que c’est des gens qui appellent la police ?
Les deux en fait, les deux. En général, quand tu vois une voiture de flics passer, c’est que t’as devant toi au moins vingt minutes pour poser. Sinon en pleine nuit on peut faire à peu près tout ce qu’on veut.
Du coup, tu peins plus la nuit que le jour ?
Ouais. Je me permets de monter sur des échafaudages, je vais faire des immeubles.

Comment tu t’organises ?
Je garde mes bombes dans un sac à dos, que je garde côté ventre. Comme ça, j’ai le temps de me barrer en courant avec mon sac. Sinon, si j’ai pas le temps, au moins je peux le jeter vite. Et j’essaye de repérer des lieux où je vais avoir des voies pour me tirer. Je vais pas poser dans une impasse.
Donc tu développes des stratégies ?
En fait, c’est venu avec l’habitude. Je me suis fait courser plusieurs fois et du coup maintenant je fais gaffe de pouvoir me barrer.
Est-ce que tu peux me raconter quelques anecdotes où tu t’es fait prendre ?
Quelques anecdotes croustillantes ?
Comment ça se passe concrètement quand tu croises un flic ?
Y a celle avec Dark Snoopy quand même qui est assez belle. Là, on s’est fait embarquer. On avait chacun un mur, vers la Butte aux Cailles. Y avait Toc-Toc qui était là. Et Lego to the Party. On peint, y a un petit groupe qui commence à se former. Y a des gens qui étaient là avec leurs gamins, on a fait essayer des bombes et tout. Et quelqu’un a dû appeler la police. Le problème c’est que, à partir du moment où ils ont eu un coup de fil, ils sont obligés d’embarquer. Ils arrivent, ils font un peu les cow-boys au début, puis on voit qu’ils commencent à se détendre. Et à trouver que ce qu’ont fait c’est pas trop dégueu. On se fait quand même gauler, Snoopy et moi. On est restés 1h30 au poste. Ils prennent nos dépositions, super sympas, ils nous appellent « les artistes ». T’as une flic qui drague à moitié Snoopy, un bon petit rentre-dedans quand même. Au final, on se casse, explosés de rire.
Ils font leur job parce qu’on le leur demande en fait ?
C’est ça. Après, avec la BAC, j’ai déjà été confronté à eux plusieurs fois, et je sais qu’ils sont un peu costauds. Moi j’arrivais toujours à me barrer en courant assez vite, mais t’as des bonnes trouilles quand même. Ils ont déjà choppé certains de mes potes et ils se sont fait fracasser la gueule.
Ah quand même !
Soit ils se sont fait embarquer après, soit laissés dans la rue après s’être fait défoncer. J’ai des potes qui sont allés à l’hôpital la mâchoire cassée. Mais j’ai toujours réussi à plus ou moins me barrer à temps. Je me suis déjà pris un coup de torche dans la jambe, mais je suis tombé, je me suis relevé, je me suis barré et ça allait. Mais t’as quand même une sacrée frousse. Et par contre avec un pote une fois, il me racontait… On était invité à une soirée, on s’est barrés à peu près au même moment, mais lui trainait et il taguait. J’ai plus de nouvelles avant le lendemain. Et en fait, t’avais des flics qui étaient arrivés, qui l’avaient choppé, qui lui avait pris sa bombe et qui lui avaient bombé la gueule avec sa bombe de chrome.
C’est hyper dangereux non ?
Ouais. Moi, des courses-poursuites j’en ai eu pas mal. Mais je m’en suis toujours sorti. En fait, t’as tellement peur de toute façon. C’est même pas pour l’amende, parce que l’amende : tu te fais choper dans un tunnel t’en as pour 250 balles, tu t’en fous. Je dis pas, c’est beaucoup d’argent, mais ça va. Mais y a peut-être moyen que tu te fasses péter la gueule, tu vois.
Et tu disais que t’avais des potes qui avaient pris cher au niveau des amendes ?
Ouais, RATP beaucoup.
Quand tu tagues sur un train, tout de suite c’est un autre niveau ?
Si tu te fais chopper sur un train… C’est terrible parce qu’en fait avec la RATP t’as la partie service public et puis t’as tout le côté privé derrière qui est le STIF. Et c’est eux qui ont leur plafond d’amende. Faut pas oublier qu’ils ont leur police. Et leur plafond d’amende. Même Jordan Saget s’est fait chopper et il s’est pris une amende de 6.000 euros, je crois. Alors qu’ils l’ont appelé après pour faire un truc aux Halles… Dans le métro !

Comment est-ce que tu l’expliquerais toi, cette espèce de schizophrénie qu’il y a autour du graff ?
C’est commercial ! De temps en temps, y a des évènements organisés. Par contre, si tu te fais choper tout le reste de l’année, tu te fais déboiter. La RATP c’est quand même un truc très particulier. J’y ai touché un peu, mais j’y touche plus. Ils vont essayer de se donner un coup de jeune en proposant des trucs à des artistes, mais en vrai ils s’en tapent.
Est-ce que t’as d’autres anecdotes ?
En vrai ouais, mais après, je suis pas mal tombé sur des flics sympas aussi. Par exemple : ça c’était devant le parc André Citroën, y avait un espèce de mur en bois. On vient avec des potes et puis on fait une peinture dessus. Des gens qui habitaient dans le coin ont appelé. C’était en plein été, on picolait deux bières, donc ça a peut-être pas joué en notre faveur. Y a la police qui arrive et ils nous demandent d’arrêter. Ça discutaille un peu, parce qu’a la base ils voulaient nous mettre des amendes. En fait les mecs, super sympas, ils nous expliquent que si on veut mettre un truc sur un mur, faut aller à la mairie, demander les cadastres, appeler les gens… Ils nous expliquent vraiment toute la démarche pour le faire. J’étais surpris, parce qu’on a discuté avec eux une heure et demie. On était en train de boire nos bières et ils nous expliquaient comment faire. On a appelé la mairie avec eux. Finalement, on a pas pu. Mais euh… on y est retournés un peu plus tard.
Et sinon, vraiment, une fois ça m’est arrivé de devoir jeter mon sac dans la seine.
Parce que là, il s’était passé quoi ?
Là, j’étais tout seul, j’étais un peu arraché. Enfin bref. J’étais en train de peindre et je les ai vus arriver. J’ai senti le truc. Donc je me suis arrêté, j’ai rangé. Et j’ai commencé à me barrer. J’ai vu qu’ils s’approchaient de moi, je me suis tiré en courant, hyper suspect le mec. Mais bon, j’ai eu peur. Je suis passé à côté de la Seine, j’ai balancé mon sac. Puis ils m’ont chopé. Ils m’ont dit : « Ouais, t’étais en train de faire quoi ? ». Comme y avait pas de flagrant délit, j’ai dit : « Je suis un peu bourré, j’ai vu une voiture passer, qui s’arrêtait à côté de moi, j’ai eu une peu peur » ; et c’est passé. Mais au départ, ils m’ont menacé de me ramener, qu’ils savaient que j’avais fait une connerie.
Toi tu voudrais que ce soit légal de graffer ?
Je suis assez partisan de ça ouais. Alors y a plein de gens qui me disent que c’est pas bien, même des gens qui font du street art ! Qui vont dire que non, parce que va y avoir plein de croutes partout. Mais à quel moment tu décides que c’est une croute ou pas en fait ? Moi, si tous les rez-de-chaussée sont recouverts de graffiti avec plein de couleurs, je kiffe. Ce serait vachement joli.

Merci à P. pour ses réponses !
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