Heartcraft est comédien, il dessine, et depuis quelques temps, il s’est mis au street art. Nous nous sommes rencontrés autour d’un thé, un jour de pluie, pour parler ensemble de son rapport avec l’illégalité, profondément liée à sa nouvelle activité. Il a ironisé sur son manque de street cred, m’a raconté quelques anecdotes et est revenu sur les raisons qui l’ont poussé à s’exprimer dans la rue. C’est ainsi que commence ce quatrième épisode de Police, justice, street artistes.
En quoi consiste ton travail dans la rue ?
Mon travail est né d’une envie de m’exprimer dans la rue et de partager des opinions que j’avais. On était en pleine période des élections présidentielles américaines, puis françaises. On baignait dans les débats politiques. Deux ans après, le pays continue à se radicaliser, tout le monde s’enferme dans ses idées. Tout ça a beaucoup infusé en moi et sont nés ces cœurs, ces couples qui s’embrassent, que j’ai déclinés selon plusieurs messages. Le couple de l’Europe accueillant le migrant, le couple interreligieux avec le voile et la kippa… C’est des valeurs que j’avais envie de remettre dans le débat.
Et comment en es-tu venu au street art ?
Je m’y étais jamais vraiment intéressé avant, mais j’avais repris le dessin le jour des attentats de Charlie. J’ai fait des caricatures tous les jours, en parallèle de mes activités de comédien. Puis j’ai découvert le street art par hasard. J’ai commencé à lever les yeux et à regarder… Paris, tu peux la voir selon plusieurs strates et y avait cette strate de l’art urbain, que je ne connaissais pas du tout. Je me suis dit que j’allais faire quelque chose pour la rue. J’ai beaucoup cherché et, là aussi, ça a continué à infuser. Sont venus ces cœurs. Je trouvais que c’était une parfaite réponse à l’environnement politique et sociétal. Je me suis dit : « J’ai pas accès aux médias mais j’ai des choses à dire en tant que citoyen, en tant qu’artiste. » C’est pour ça que je suis allé dans la rue.
Tu as eu conscience que tu te mettais à faire quelque chose d’illégal ?
Je le savais, parce que la première fois que j’ai collé mes petits cœurs, la nuit entre 1h et 4h du matin, j’étais tout tremblant. Oui, je savais que c’était illégal. Mais c’était pas l’adrénaline de l’illégalité qui m’a poussé dans la rue, au contraire. J’avais quelque chose de plus important à dire.
Tu as quand même été amené quelques fois à interagir avec des représentants de l’autorité ?
L’une des dernières fois justement… C’est là où j’ai arrêté de coller la nuit, déjà parce que ça me crevait complètement. C’était rue d’Orchamp, le petit mur de la rue qui mène à la villa de Dalida. Je collais un cœur et je faisais au pochoir une couronne de laurier. Il était 5h du matin. J’étais en train de ranger, j’ai vu la voiture de police passer, je me suis dit « bon, ils m’ont pas vu ». Puis j’ai vu la voiture reculer. Dommage. J’ai remballé mes affaires. Je me suis débarrassé (j’aurais dû me débarrasser de tout, du sac) du pochoir et j’ai fait le tour, j’ai marché. J’avais pas envie de courir, ça me soulait d’avance Au début ça s’est mal passé. On était en état d’urgence, où du coup la police a tous les droits. De toute façon, quand y a pas de témoins, la police a souvent tous les droits. Donc ils ont demandé à voir mon sac, je ne voulais pas, le ton a commencé à monter. J’ai trouvé ça assez fascinant avec le recul. Ils ont commencé à prendre le sac, à tout jeter par terre en disant « Bon on va voir si tu as un truc ! ».
Ils t’ont tutoyé ?
Oui. Je pense qu’au début non. Mais quand j’ai commencé à opposer une résistance en disant « Je vois pas de quel droit vous voulez voir mon sac » … J’ai joué au plus malin et j’ai bon souvenir qu’ils m’ont tutoyé. C’est là que je me suis dit de me calmer, parce que c’était pas moi qui allait avoir raison. Enfin bon, ils jettent le sac, ils ouvrent. Ils voient les bombes, puisqu’à l’époque je faisais des pochoirs pour agrémenter mes cœurs. Y avait des gros tags sur le mur. Ils les ont pointés en demandant si j’avais fait celui-ci ou celui-là. Je leur dis « non » et là ils ont découvert la pochette avec les cœurs. Ça les a déjà calmés. Après, ils ont cherché et ils ont vu le cœur avec le pochoir. Ils m’ont demandé si c’était moi qui avait fait ça. Une amie avocate m’avait toujours dit : « Si on t’a pas pris sur le fait, quelles que soient les preuves, tu nies. » Donc j’ai nié. Ce qui parait complètement débile quand ils ont à la fois le pochoir (mais pas utilisé) plus les cœurs. Je me rappelle dire « nan », comme un petit garçon. Ils m’ont dit que je les prenais pour des cons. « Nan. » C’est un peu limité comme défense. Ils en ont eu marre, ils ont vérifié mon identité pour savoir si j’étais fiché, je l’étais pas. Et ils m’ont dit d’aller faire ça ailleurs. Ce qui était amusant dans l’anecdote, c’est que les cœurs ont beaucoup joué. Ça a fait toute la différence. Dès qu’ils ont vu les cœurs, ils ont baissé le ton.
C’est marrant, c’est un truc qui revient vachement dans les interviews que je fais.
En fait ils attendent du gros tag vandale, ils attendent du « nique la police ». Mais dès que tu es dans autre chose, dans de « l’art », ils sont beaucoup plus gentils.
Et donc ça c’est terminé, ils t’ont laissé partir ?
Avec mes bombes et tout. Ils m’ont redonné le sac.
Ils t’ont laissé ton matériel ?
Ils m’ont tout laissé. Vraiment, les cœurs, ça a tout désamorcé. De toute façon, parfois, quand je rencontre des graffeurs, à chaque fois que je dis que je fais des cœurs, en termes de street crédibilité, je pers beaucoup de poids à chaque fois.
Tu as d’autres anecdotes ?
La deuxième fois qui était rigolote, c’était sur le mur devant le Cabinet d’Amateur. J’étais en train de mettre une poule. J’étais sur mon échelle, je ne les ai pas du tout vus arriver. C’était cinq agents de la ville de Paris.
C’était de jour ou de nuit ?
De jour. Le truc que j’ai appris de la foi précédente, c’est que de nuit, certes, y a personne, t’es pas tellement emmerdé. Mais en même temps il n’y a que toi dans la rue. En journée tu seras plus emmerdé par les passants. Y a un choix à faire. Là, foutu pour foutu, je fais comme si de rien n’était, je continue. Autant bien terminer. Au moins, ce sera un souvenir. Je les entends partir. Et puis j’en entends un revenir et dire : « Excusez-moi ! est-ce que vous avez l’autorisation ? » Moi : « Pardon ? » « Est-ce que vous avez l’autorisation ? » Alors je cherche l’inspiration, qui est venue. J’avais souvenir que la Mairie de Paris est en train de faire une initiative, sociale, artistique. Y a des murs qu’elle va mettre à disposition, une quinzaine. Je leur ai dit que ce mur-là faisait partie de cette initiative. Plus c’est gros plus ça marche, ce mur n’en faisait pas partie. Ce qui est amusant c’est qu’une fois que ça a été dit, il a fait : « Ah non, non, mais c’était juste pour demander, parce que c’est très beau ce que vous faites, hein, c’est très joli. » Je lui réponds que c’est la poule qui couve des cœurs pour faire grandir l’amour dans la ville de l’amour, Paris. Y a tout un truc qui marche bien avec la ville de l’amour. C’était pas l’idée, mais y a tout un argumentaire à dérouler qui est pratique. Les autres étaient revenus et j’avais souvenir qu’ils disaient « Mais c’est un poulet ça ! ». Alors certes, c’était pas des policiers, il n’empêche qu’on peut les assimiler. Donc quand il a dit poulet j’ai dit : « oulala, non, c’est pas pour vous, ça n’a rien à voir. »
C’était des agents de nettoyage ?
Non, c’était des agents de sécurité de la Mairie de Paris. Les agents de nettoyage, ce qui est marrant, c’est qu’une fois, 1er janvier, j’étais en train de coller dans une petite rue. Et j’aime bien me mettre au-dessus des portes d’entrée des immeubles. Là, je vois une dame arriver au bout de la rue. Elle me dit que c’est joli, surtout maintenant qu’on est envahi par la publicité. Puis je vois au loin arriver un agent d’entretien. Il se mêle à notre conversation et pareil, il dit qu’il adore. En fait, c’était un ancien graffeur. Il commence à me parler de l’histoire du graff, du crew dans lequel il était et de pourquoi il avait arrêté. Il me dit (et donc c’est là que parfois tu perds de la crédibilité) : « Mais tu fais quoi ? Parce que moi j’avais mon crew, on était dans le graff. » Et il me cite plein de noms, toute une histoire passionnante, beaucoup plus vandale, avec des sessions sur des métros, sur des trains de banlieue, des vraies prises de risque, même pour leur vie. C’est très intéressant de voir que le street art n’a tellement rien à voir avec le tag, le graff. Ça aussi ça joue quand tu vois des officiers de police, ils sont très surpris et nous disent : « Vous avez rien d’autre à faire ? » Peut-être que nous, quelque part, on est plus dans la rêverie, dans quelque chose de poétique.
Est-ce que tu voudrais que ça devienne légal ce que tu fais ? Pouvoir ne plus te soucier de cet aspect-là ?
C’est une bonne question. Je crois que ça m’ennuierait terriblement.
Pourtant tu disais au début que c’était pas ce que tu recherchais.
Voilà. Mais j’avoue que c’est assez amusant de pas avoir l’autorisation. Y avait un street artiste qui me disait que le street art, par définition, c’est lorsque c’est illégal. Si tu es invité en tant que street artiste dans un festival, tu fais la même chose, mais ce n’est plus du street art. Je trouvais ça assez plaisant, ça me faisait réfléchir.
Suivez le travail de Heartcraft sur Instagram : @heartcraft_streetart
Merci beaucoup à lui pour son temps et ses réponses !