Il y a quelques mois, je rencontrais Vincent, alias Aiwazir. Au fil d’une conversation Skype, nous avons évoqué ensemble différents points liés au street art et à son illégalité. Vincent m’a raconté l’anecdote d’une interpellation à Bruxelles. Il a aussi parlé, en prenant le temps de réfléchir à chacune de ses réponses, du dialogue qu’il pense nécessaire entre une œuvre de street art et la ville, ainsi que de sa démarche artistique, emprunte d’humilité, tout en assumant une vision subjective de l’art urbain. Bienvenue dans le 5e épisode de Police, justice, street artistes.
Est-ce que tu peux te présenter et expliquer en quoi consiste ton travail dans la rue ?
Je m’appelle Vincent, j’ai 29 ans et demi. Je suis à Toulon depuis quelques mois, mais j’ai vécu 8 ans à Paris. C’est essentiellement là que j’ai graffé. Je fais ces cactus que je mets un petit peu partout. Mon nom d’artiste c’est Aiwazir. Dans la vie je travaille dans la com, je suis concepteur-rédacteur.
Tes petits cactus c’est du travail au pochoir ?
Absolument. Parce que techniquement il faut quelque chose qui soit rapide à poser. Quand on fait des grosses pièces, ça prend du temps et, mine de rien, y a toujours le risque de se faire prendre. C’est pour ça que quand je fais des pièces plus poussées, qui peuvent demander une quinzaine d’heures, c’est plutôt sur toile.
Ça te prend combien de temps de faire un cactus au pochoir ?
5 minutes.
Ça fait combien de temps que tu les fais ?
J’ai commencé en 2015. À la base, faut savoir que je me considère pas comme un artiste. Mon domaine c’est plutôt les mots et le concept des choses. L’idée dans laquelle je, je fais ces cactus, c’est me balader et c’est laisser une trace, dire que j’étais ici. C’est moins quelque chose de graphique, vraiment travaillé, que laisser juste une petite trace.
Tu disais que le pochoir c’est pratique parce que ça limite le risque de se faire prendre. Tu t’es déjà fait prendre toi ?
Ça m’est arrivé une fois, c’était à Bruxelles. J’étais dans un bar, on s’est pris une bonne caisse. J’étais pas très frais. Je me suis dit : « C’est le bon moment pour aller poser quelques cactus ! » J’ai vu un beau bâtiment, j’ai pas réfléchi, je pose vite fait. Tout se passe bien, je mets mes affaires dans mon sac, je sors mon portable. Je prends la photo et là je me fais pousser contre le mur. C’était la police bruxelloise.

Tu les avais pas vus venir ?
Pas du tout ! Sinon je serai parti en courant. Ils ont été discrets. Une bagnole les a rejoints dans la foulée. De ce qu’ils m’ont dit, la délation du graffiti c’est un sport national en Belgique. Chose que j’ignorai. Y a deux personnes qui nous ont balancés. Ils m’ont embarqué. Ils m’ont fiché, évidemment, empreintes digitales, tout ça. Ils ont pris m’ont adresse pour envoyer une amende, mais ils m’ont pas plus emmerdé que ça parce que je partais deux jours après. Mais ils m’ont confisqué mon matériel.
Dans leur attitude, ils étaient cordiaux ?
Au début, au moment vraiment de l’interpellation, c’est un peu musclé. Après je suis quand même quelqu’un de sympathique, je les ai pas insultés. C’est le jeu du chat et de la souris, je me suis fait attraper. Au poste, ils m’ont demandé pourquoi je faisais ça. Ils étaient pas très sensibles au street art. Pour eux, ça reste de la délinquance. Mais bon, pas désagréables.
Tu te souviens de ce que tu leur as répondu quand ils t’ont demandé « pourquoi tu fais ça » ?
Ouais, j’ai dit que c’était pour apporter un peu de bonheur aux gens. Parce que je sais que ça fait toujours plaisir de passer devant quelque chose de mignon. C’est différent de créer une pièce très technique et une petite chose toute simple, mais très mignonne. C’est comme JIJI qui fait ses petits chatons dans Paris : tu vois c’est simple, mais ça fait super plaisir quand t’en croises un.
Cette arrestation, ça s’est passé au milieu de la nuit. Habituellement tu poses toujours de nuit ?
Oui, parce que de jour y a du monde partout. C’est compliqué d’être tranquille. Et puis j’aime bien graffer quand je suis un peu éméché. Et être bourré à 14h c’est pas ouf. Mais c’est surtout par rapport à la densité des passants.
Les passants, quand ils te voient faire, ils te reprochent de faire quelque chose d’illégal ?
Non, à 99% les gens sont cool. Y a qu’une fois où un gars est venu me dire « c’est interdit, mec, fais pas ça ».

Ta rencontre avec les policiers c’était à Bruxelles. Est-ce qu’à Paris t’as été parfois à la limite de te faire arrêter ? Et est-ce que l’ambiance est différente ?
À Paris j’ai jamais eu de soucis. Enfin, parfois je me dis que c’était un peu risqué. Une fois, je me rappelle, y avait un ravalement de façade. Et j’ai toujours mes écouteurs sur les oreilles. Je grimpe en haut de l’échafaudage, je pose mon truc, je redescends. Une fois que je suis en bas, j’enlève mon casque et je vois que ça fait peut-être dix minutes qu’y a une alarme qui est en train de sonner. J’avais rien capté ! C’est vraiment une question de chance. Mais à Paris ça va, j’ai pas eu trop de problèmes, j’ai l’impression que les flics ont autre chose à foutre. Et quand tu as une gueule qui passe pas trop mal, je pense que ça va.
Est-ce qu’à Paris tu sens les agents de nettoyage de la Mairie très actifs, est-ce que tes cactus durent longtemps ?
Je pense qu’ils sont assez efficaces. Ceux dont je peux parler c’est ceux de Levallois, parce que j’y habitais. Et c’est vrai que j’avais un spot où on jouait, comme ça, au chat et à la souris.
Levallois c’est pas vraiment the place to be niveau street art.
Ouais c’est pas très fun. Donc je peux t’assurer qu’ils sont assez actifs. À Paris, j’imagine que ça dépend des quartiers où t’es. Mais ce que je redoute le plus c’est quand même le recouvrement.
Est-ce que le fait de faire quelque chose d’illégal a contribué à ton envie de te mettre au graff ?
D’une certaine manière, oui. Tu sais que c’est illégal en fait. Après, pourquoi tu le fais ? Je crois vraiment qu’un petit truc comme ça peut enjoliver le quotidien.
Mais la motivation première c’est pas d’enfreindre une règle ?
Non. C’est vraiment partager ton art.
Si on te qualifie de vandale, tu trouves que ça correspond pas à ce que tu fais ?
C’est assez compliqué. T’as pas envie d’être considéré comme un vandale. Mais ça l’est d’un point de vue juridique. En fait, ça dépend comment c’est fait. Si on vient chez toi pour foutre un graff, si c’est un truc vraiment dégueulasse, un mec qui met juste son blaze, c’est gratuit, c’est pas forcément esthétique. J’aurai plus tendance à considérer ça comme du vandalisme. Moi je fais des petits cactus, qui sont quand même assez discrets, limite un peu cachés. Après, ça reste très subjectif. Le mec chez qui tu le fais, même un petit cactus, il a peut-être pas du tout envie de le voir.

Est-ce que si ta pratique avait été légale ça aurait changé ta manière de créer ?
Oui, je ferais des pièces beaucoup plus élaborées. Je pense que j’aurai même tendance à en faire beaucoup plus.
Est-ce que t’aurais le souhait que la législation change, que ça devienne autorisé ?
J’essaye d’imaginer ce que ça donnerait. Parce que si… Hum… D’un côté oui, parce que ça me permettrait de pouvoir poser mes pièces plus tranquillement. Mais d’un côté y a toujours le graffiti que je trouve dégueulasse. Le problème c’est qu’on peut pas demander à la justice de juger si ça, ça peut être fait dans la rue. On rentre sur un terrain glissant. Donc j’aimerai bien, mais il faut pas.
Pour terminer, est-ce que tu pourrais me proposer ta définition du street art ?
Ça va être toute action artistique qui va être engagée dans la rue. Il faut que ça s’intègre dans le milieu urbain, que le support soit la rue. T’as souvent des œuvres d’art contemporain qui sont posées à Concorde, des trucs comme ça. C’est exposé dans la rue, mais je vais pas le considérer comme du street art, parce que c’est pas intégré à la rue.
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux ajouter ?
Je souhaite plus de street art, plus de gens qui s’expriment dans la rue. La rue est un terrain de jeu. Et plus de chance pour ces gens-là de pouvoir pas se faire choper et exposer un maximum aux yeux du monde qui ils sont. Parce que quand tu graffes, tu exposes qui tu es.

Suivez le travail de Aiwazir sur Instagram : @aiwazir75
Merci beaucoup à lui pour son temps et ses réponses.
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