Police, justice, street artistes #6

En dépit du confinement, du couvre-feu et autres réjouissances qui rendent les rencontres avec des artistes compliquées, voici un nouvel épisode de la série Police, justice, street artistes. Cette fois-ci, c’est le jeune graffeur Fégaf qui nous parle de son rapport à l’illégalité, de son attachement à l’enfance et de la police londonienne.


Est-ce que tu peux présenter ton travail en tant que graffeur en quelques mots ?

En quelques mots je dirais : « insatisfait » et « Peter Pan ». En mode très enfantin. Chercher vraiment à faire plaisir et à intriguer les enfants, ceux qui ont encore un regard ignorant, mais dans le sens positif du terme. Ça leur donne un recul que d’autres n’ont pas.

Tes graffs ont ce côté enfantin ? Ou tu essayes de susciter ça chez les gens ?

Un peu des deux, mais surtout la première partie. C’est ça que j’entendais par enfantin. Un, pour le public et deux, dans les traits. Je suis victime de ma maladresse. Parfois j’en joue, j’aime bien peindre main gauche. C’est le côté non maitrisé qu’on peut retrouver chez les enfants. C’est enfantin aussi dans la démarche. Le but c’est de s’amuser plus que quoi que ce soit d’autre, vraiment.

Ça fait combien de temps que t’as commencé à peindre ?

J’ai 22 ans. J’ai commencé à peindre, j’avais une petite dizaine d’années. Et j’ai commencé à prendre le truc au sérieux à 12-13 ans. J’ai commencé à faire mes premiers vandales, mes premières élévations, mes premiers camions, mes premiers tunnels. À cet âge-là, y avait une certaine insouciance.

Tu l’as plus maintenant ?

Oh… Allez, si, mais sous quelques grammes d’alcool peut-être. Parce que c’est vrai que sobre, je sais ce que j’encoure. Après, ça apporte plein de trucs. Plus j’ai conscience du risque que je prends, plus mon trait va être incertain. Je vais peut-être oublier une barre pour le F, des trucs comme ça. Ça peut apporter un petit truc ce côté spontané, instantané.

Capture d’écran du compte Instagram @fegaf21

À quel moment t’as eu le déclic d’aller dans la rue ?

Dès le début, parce que j’ai toujours vu ces trucs dans la rue. J’ai toujours été très nul en art plastique, je suis pas très sketch. Depuis le confinement j’ai repris un peu le stylo.

« Sketch » c’est pour le… ?

Le dessin. Je m’entraine très peu en vrai, surtout sur les murs. Après ça veut pas dire que tout est en impro, y a des choses que je prépare, ne serait-ce que le choix des couleurs. La rue c’est aussi le support, ça veut dire s’adapter. Et c’est un plaisir que tu peux pas éprouver avec une feuille A4. Je pense à Makio : avec un hublot, porte d’Ivry, il a fait M A K I et il a utilisé le rond du hublot pour faire le O. Il s’est adapté au mobilier urbain. Et même si c’est un tag, celui-à, pour moi, il apporte quelque chose.

Donc tu as commencé à peindre dehors assez jeune. Est-ce que tu as tout de suite eu conscience que ce que tu faisais était illégal ?

Carrément, déjà parce que les premiers flics que j’ai c’est à la maison, mes parents. Ils ont toujours fait très attention à ce que je fasse pas de bêtises. Et juste le fait de devoir faire le mur, ça donne déjà assez tôt l’idée que t’as pas le droit. Même dans la rue, la peur…

T’avais une petite adrénaline ?

Ouais. Aujourd’hui je m’en fous, parce que je sais que c’est que de la peinture. À l’époque, j’aurai eu la police, plus les parents. C’était une double pression que je n’ai plus vraiment aujourd’hui.

Fegaf 21 à Ivry sur Seine

Actuellement, tu peins de jour ou de nuit ?

Les deux. Y a des spots qui sont adaptés au jour, d’autres à la nuit.

T’as pas peur d’être plus repéré en plein jour ?

Je suis beaucoup plus à l’aise en plein jour, parce que plus c’est gros, plus ça passe.

Si y a des gens qui te voient, hors flics, en plein jour, t’as des réactions ?

Ouais. Y a un moment qui m’a marqué énormément, ça m’a fait plaisir. C’était une mère et son gamin qui se baladaient. Ils s’arrêtent. La mère dit à son gamin : « T’aimes ce qu’il fait » ? Mais avec beaucoup de sous-entendus, en mode : « c’est pas bien de faire ça ». Le gamin a lâché un « Oui !» du fond du cœur. J’ai arrêté ce que je faisais, je me suis retourné je lui ai souri, j’ai fait : « merci ». C’était mission réussie. Entre sa mère et lui, c’était lui que je visais. Et sinon, je me suis déjà fait courser par d’autres personnes que les keufs, des proprios.

Ça arrive quand t’es entrain de taguer un mur qui leur appartient, ils réagissent mal ?

Ouais, après je fais pas le connard. Là où on peut me faire quelques reproches, c’est, à la rigueur, les camions, même si je cible toujours les plus gros qui sont peut-être à une usine plus qu’à une personne. Même les murs, je fais pas ça sur des maisons, je vais pas taguer une voiture de quelqu’un, ça se fait pas ! Déjà parce que tu vas être buffé.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire repassé. Dans la mesure où tu veux être quand même vu, c’est bien de trouver des endroits où tu vas rester quelques mois.

On peut dire que t’as une certaine éthique dans ta façon de faire ?

Oui, même pour être respecté des autres. Je jugerais énormément un graffeur qui ne ferait que de salir des voitures, des murs de maison, sans démarche particulière. C’est vraiment taper dans le portefeuille. C’est nous le contribuable, c’est nos impôts qui repeignent nos conneries. Y a un million de spots. Faut pas déconner quand même.

Fegaf 21 à Villejuif

Pour rentrer dans le vif du sujet, est-ce que t’as déjà eu des interactions avec la police ?

Quelques unes, oui.

T’en as quelques-unes qui t’ont plus marqué que tu voudrais raconter ?

Ouais, y en a une que je peux raconter parce qu’elle s’est bien passée. C’était à Londres, la veille de mon anniversaire. On m’avait offert de la peinture. J’habitais au bord d’un canal et en face y avait une usine abandonnée où y avait des tags. Je me suis dit : « why not ? ». Au bout de même pas 15min, deux mecs qui arrivent, en civil. Je les avais pas vus, je faisais mon truc tranquillou, j’avais demandé si ça dérangeait les personnes qui étaient sur la péniche à côté que je peigne, juste à cause des odeurs. Ils ont dit « good ». Et donc les gars m’ont dit « Tu fais quoi là ? » «  Bah je peins ! » Et bam ! Tête contre le mur, ils m’ont monté les bras super haut, je savais même pas qu’ils pouvaient remonter aussi haut dans mon dos, c’est un truc de ouf. C’est la première fois (parce qu’on m’avait déjà mis les menottes, mais celles en plastiques), c’est la première fois qu’on m’a sorti les vraies menottes en métal.

C’est douloureux ou pas ?

En vrai, une interpellation, c’est jamais dans le calme. Après, une fois qu’ils ont montré qui était le patron, ils baissent d’un ton.

T’as pas haussé la voix ?

Non. Ils m’ont demandé pourquoi je faisais ça. Je leur ai dit que j’habitais en face, que demain c’était mon anniversaire, qu’on m’avait offert de la peinture, que là c’était moche, que je faisais un truc sympa. In fine, ils ont appelé je sais pas qui, ils ont vu qu’il y avait pas vraiment de propriétaire, donc pas de plainte forcément possible, ce qui a joué en ma faveur, parce qu’ils m’ont relâché.

T’es pas passé par la case garde à vue ?

Non. Ils ont juste pris la peinture. Mais en vrai, ils étaient cool. Après, la police moi, je la vois dans mon dos… Je cours très vite. C’est aussi pour ça que j’ai adapté mon style récemment. Je fais des choses beaucoup plus simples, y a pas de fond, je cherche des surfaces propres. C’est du one shot, ça me prend 1min30 tout ce que tu vois.

Fegaf 21 à Ivry sur Seine

En fait, l’illégalité c’est une contrainte qui agit directement sur la façon dont tu travailles.

Ça dépend de la direction que tu veux : en terrain t’as du temps, t’essayes de faire évoluer ton art. Mais en vandal t’as des contraintes.

En France, t’as des trucs qui te sont arrivés ?

En France je cours très vite.

Comme tu as vécu à l’étranger, est-ce que tu as l’impression qu’y a une mentalité des flics qui est différente ici ?

Ça dépend de la ville. Si tu vas dans un endroit où c’est pas toléré, forcément, que ce soit la gendarmerie, la police, le voisin… on va pas l’accepter. Donc que ce soit à Amsterdam, Londres ou Paris y a une acceptation qui fait que tu peux le faire en pleine journée. Mais y a des petits bleds en campagne, en France, j’irai pas en journée. Parce que je sais que y a la mamie qui va appeler et que dans 5min y a la gendarmerie, parce qu’ils ont que ça à foutre. Pour les trois pays que j’ai cités, c’est très valable.

Est-ce que tu veux ajouter un dernier mot ?

Une petite dédicace au NOP et au SWM. Beaucoup de force, beaucoup de respect, beaucoup d’amour. Qu’ils continuent, et c’est en partie grâce à des gens comme ça que le graffiti peut vivre et se renouveler. Parce que y a beaucoup de création chez ces gens-là. Beaucoup d’âmes d’artistes dans le fond, même si c’est que des lettres. Gros respect à ces gens-là qui poussent le truc à fond.


Merci à Fegaf 21 pour son temps et ses réponses !

Un commentaire sur “Police, justice, street artistes #6

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  1. Ce pseudo artiste ne mérite que le mépris puisqu’il ne respecte en rien le bien d’autrui. Je vais déposer une plainte puisque le mur de ma maison a été dernièrement tagué par ses soins. Il devrait être condamné à tout nettoyer.

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